#13 - Myriam L, les cartes rebattues et un vent de renouveau
La quarantaine de Myriam c'est le retour à l'entreprenariat, la liberté et l'incertitude couplés à une vie personnelle sur laquelle souffle un vent de renouveau.
Aujourd’hui, et même si ça lui «coûte» de devoir abandonner sa carte de presse, Myriam Levain peut dire qu’elle «s’est reconvertie pour se lancer dans l’écriture de biographies familiales». Car si ce projet l’anime plus que tout, le mener, c’est aussi renoncer à être la journaliste qu’elle a été pendant 15 ans. Et elle n’est pas sûre de s’être vraiment faite à cette idée. Elle réfléchit d’ailleurs «à garder des petites activités» qui touchent à ça. Sur le côté. Enfin, cette année elle a encore sa carte de presse mais voilà, ce sera la «dernière». Pour l’instant. Depuis septembre dernier, Myriam s’est associée avec Elisa Azogui-Burlac pour créer Studio Milim.
Même s’il est «encore un peu tôt» pour parler d’accomplissement puisque l’offre vient d’être lancée, Myriam est entièrement investie dans cette nouvelle aventure entrepreneuriale. «On recueille des témoignages de familles» avant d’en faire une biographie écrite à la première personne et un podcast finement réalisé, monté, mixé. L’acoustique du «témoignage biographique» est également habillée de musiques chères au cœur de l’intéressé(e) et le livre inclut un cahier central de photos. Un projet pour continuer de faire vivre les histoires du passé mais aussi pour graver les souvenirs sur papier et les rendre accessibles aux générations suivantes. Myriam n’en est pas à sa première aventure entrepreneuriale. Alors elle sait. Que c’est long de «monter une entreprise» mais aussi que rien n’est jamais gagné. «Même quand ça marche, tu n’es jamais tranquille». Pourtant, à ses yeux, il n’y a aucun doute, ça vaut le coup. Pour la liberté qu’entreprendre confère. Et parce qu’elle est «passionnée par le témoignage intime et familial».
Entreprendre pour Myriam, c’est une manière de «créer l’endroit où elle voudrait travailler». Et c’est ce qui l’avait motivée, en 2013 déjà, lors de la création de Cheek, le premier média féminin et féministe. Bien avant #Metoo, le hashtag apparu pour la première fois en 2017 et auquel on associera symboliquement le début d’une prise de conscience collective des violences faites aux femmes. En 2013 donc, dans un monde encore très peu sensibilisé à ces sujets, Myriam s’associe avec deux autres journalistes, Julia Tissier et Faustine Kopiejwski pour créer le magazine en ligne Cheek. Comme beaucoup de femmes de sa génération, Myriam a beaucoup lu ELLE. Très tôt, elle est «sensibilisée au fait qu’il y a beaucoup de sujets féminins intéressants qui passent sous le radar».
A ce moment-là, les trois associées décident de créer le média qu’elles voudraient lire mais aussi le journal dans lequel elles aimeraient travailler. Aujourd’hui, elle reconnaît volontiers les difficultés rencontrées ces années-là mais cela n’empêche pas Myriam d’évoquer ce projet avec ardeur et fierté. «On avait le sentiment d’accomplir quelque chose d’important». Au journal, elles endossent tous les rôles. Au-delà du contenu, il faut faire tourner une machine économiquement stable et c’est un sacré labeur. A la multiplication des médias féministes qui apparaissent ensuite, Myriam et ses associées comprennent que leur intuition personnelle a coïncidé avec un enjeu sociétal majeur. En 2017, le site Cheek est racheté par Les Inrocks.
C’est aussi à peu près à ce moment-là que Myriam publie son troisième livre Et toi, tu t’y mets quand ? Six ans plus tôt, elle avait déjà coécrit avec Julia Tissier La génération Y par elle-même qui avait reçu un véritable écho médiatique. Ce nouveau récit est plus personnel. Et plus politique aussi. C’est celui qui lui «tient le plus à cœur». Le livre traite de la congélation des ovocytes dans le but de prolonger sa période de fertilité. Il est paru en 2018, à une époque où cette procédure était illégale en France et où discuter ces thèmes relevait encore du tabou. A l’époque, Myriam a 35 ans. Elle prend conscience que «le temps passe» et la rédaction de ce livre lui permet de réfléchir à la manière dont elle se projette dans la quarantaine. «On est quand même très conditionnées pour arriver à l’âge de 40 ans mariée avec deux enfants. Je suis convaincue qu’il y a de grandes joies en dehors de la maternité et que l’on peut être accomplie sans passer par cette case. Mais on manque de modèles.» Pour personnifier cette référence.
Deux ans après la parution de ce livre, le Covid fait irruption. Sur un plan personnel, le fait d’être confinée et isolée dans ses dernières années avant la quarantaine lui permet de «dédramatiser» les questions qu’elle se pose encore sur une maternité éventuelle. «A part pour les femmes qui sont certaines qu’elles ne veulent pas d’enfant, toutes les femmes qui n’en ont pas encore abordent la quarantaine avec cette question». Parce qu’à ce moment, «c’est encore possible mais plus pour longtemps». Même si Myriam aimerait que ce soit autrement. Mais petit à petit, elle commence à se projeter dans cette vie de célibataire sans enfants qui est un « secret bien gardé pour certaines femmes. »
Sur le plan professionnel, Myriam travaille encore chez Cheek mais l’idée de se lancer dans des témoignages biographiques commence à germer. L’année précédente, Myriam et son frère, à l’initiative de ce dernier, sont partis à Tunis sur les traces de leur famille. «J’avais déjà été en Tunisie mais pas à Tunis». Ils rencontrent «les bonnes personnes» qui les aident à «trouver les documents qu’ils cherchaient». Elle prend aussi conscience qu’il reste une «minuscule vie juive à Tunis». Il y aura d’autres voyages ensuite à la rencontre de ce «monde dont elle ne soupçonnait pas l'existence». Myriam s’est toujours sentie proche de la Méditerranée. Elle y a souvent voyagé. Mais elle n’avait pas compris que «c’était si proche». Pendant ses études déjà, elle a tourné le dos à l’allemand et à l’anglais, appris consciencieusement tout au long de ses études, pour débuter l’espagnol. Cet apprentissage lui a permis de faire un échange universitaire en Espagne et de créer des liens forts avec ce pays. Plus tard, elle voyagera aussi beaucoup en Amérique latine. Avec le recul, elle se dit que c’était déjà un premier pas vers la Tunisie et l’identité méditerranéenne. Mais c’est lors du voyage entrepris avec son frère, qu’elle entame, pour de bon, le chantier de la quête de ses origines.
Et puis le compte Instagram Stay Tunes - ouvert au départ «par déformation professionnelle» pour «documenter» ce cheminement et pour «laisser une trace» - rencontre un succès qui la surprend franchement. En «rendant la démarche publique», Myriam prend conscience qu’il y a un engouement et qu’«elle n’est pas seule» lancée dans cette quête séfarade. Sa démarche personnelle fait écho à un désir plus global des gens de sa génération de retrouver les terres si rapidement quittées par leurs parents. Des terres dont les goûts et les odeurs continuent d’embaumer nombre de foyers. Les jeunes juifs sépharades ont envie de «se réapproprier leur histoire». Et cela coïncide en France avec «un moment décolonial». C’est dans «l’air du temps». Aujourd’hui encore, Myriam continue de publier des portraits. Mais à une fréquence moins importante. C’est un peu comme pour Cheek, elle a le sentiment que d’autres ont «pris le relais». Et puis dans le cadre de Studio Milim, Myriam et son associée ont lancé le podcast La vérité je mens plus dans lequel des personnalités parlent du lien d’attachement à leur identité sépharade. «C’est une manière pour nous de continuer d’explorer cet aspect de nos identités».
La quarantaine, Myriam l’attendait de pied ferme. Dans sa famille, il se dit que «40 ans est le meilleur âge pour une femme». Mais, ce que Myriam n’avait pas imaginé, c’est qu’elle ferait, à la veille de passer le cap, une rencontre qui «chamboulerait sa vie». A trente-neuf ans et demi donc, une rencontre l’a faite soudainement belle-mère et bientôt mère. «Tout est tellement nouveau». Myriam est encore abasourdie du cours qu’ont pris les choses ces derniers temps. Elle était bien «dans sa vie d’avant». Et tout a basculé, pour le meilleur. «C’est arrivé comme ça». Prouvant que malgré l’illusion que nous chérissons d’avoir le contrôle, notre destin n’est franchement pas entre nos mains. La grossesse aussi est quelque chose «d’assez dingue», de ces choses que l’on ne «maîtrise pas». A une époque où l’on n’est plus habitués à vivre des choses que l’on ne maîtrise pas. Alors voilà, elle s’apprête à vivre «tout en même temps». Le couple, la maternité et la relation nouvelle avec les enfants de son conjoint, futurs grands frère et sœur du bébé qu’elle porte.
La vie de la quarantaine est donc une vie nouvelle, dans laquelle elle n’est plus journaliste et qui la verra devenir mère. Même si Myriam a adoré avoir 20 puis 30 ans, elle repense à ce temps sans nostalgie. Elle «travaillait beaucoup» ce qui a teinté ces années d’une certaine «austérité». Il y avait beaucoup à prouver. Aujourd’hui, elle se sent «plus sereine». Elle se fait confiance. Elle le sait, il lui reste «beaucoup de choses à faire». Il y a aussi ce vent de renouveau qui souffle. Et qui balaie pas mal de certitudes, en rebattant les cartes qui étaient les siennes jusqu’à présent.
Le compte Instagram Stay Tunes est à suivre ici.
Le site de Studio Milim est ici.
L’épisode de l’excellent podcast Joyeux Bazar dans lequel Myriam parle de son lien à ses diverses origines est à écouter ici.
Encore un destin hors du commun qui nous rapproche les unes des autres. Merci Ornella pour la sérénité qui se dégage de ce portrait
J’adore Stay Tunes 😍 et ses posts Insta me manquent. Très beau portrait, j’aimerais beaucoup rencontrer Myriam (et je crois qu’on a qq connaissances en commun !) 🫶🏽