#18 - Dona R, dans la (re)construction - 1ère partie
J’ai rencontré Dona il y a un an et demi, en cours d’arabe. Mais quand elle s'est présentée, j'avais raté qu’elle était, comme moi, une fille de 1984.
J’ai rencontré Dona il y a un an et demi, en cours d’arabe. En se présentant le premier jour, elle a dit qu’elle habitait tout près de chez moi et que nos enfants avaient à peu près le même âge. A cette époque, je travaillais à donner naissance au projet des filles de 1984. Je pensais beaucoup à cette quarantaine qui m’attendait. Je cherchais des femmes qui témoigneraient de leur ressenti. J’espérais qu’on me lirait. C’était juste avant que notre monde ne bascule. Ce jour-là, Dona avait dû donner son âge comme la prof nous l’avait demandé pour comprendre si nous maîtrisions les nombres. Mais ce n’était pas mon cas. Alors j'avais raté qu’elle était, comme moi, une fille de 1984.
Tournoi de tennis à l’occasion de ses 40 ans
Un an plus tard, en mars dernier, alors qu’après une vingtaine d’entretiens, les circonstances m’avaient poussée à mettre le projet en pause, l’envie d’écrire a recommencé à me travailler. J’ai réfléchi aux portraits que j’avais, prêts à poster, sur mon drive, mais j’ai réalisé que je ne pouvais pas reprendre là où je m'étais arrêtée, le 5 octobre dernier.
Quelques jours plus tard, j’ai reçu un mail dans lequel Dona annonçait sa démission, après dix ans de boîte. Et dans la foulée, à l’occasion de la journée de la femme, comme elle a été, au cours de cette décennie, un pilier féminin du site, une newsletter lui était consacrée. Elle y expliquait que quelques semaines plus tôt, le jour de ses 40 ans, elle était partie pour la Haye. Avec l’équipe qui a porté plainte à la Cour Internationale de justice contre les crimes contre l’humanité perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023.
J’ai écrit à Dona. Je lui ai proposé de participer au projet. Quand elle a accepté, je lui ai dit, émue, qu’écrire son portrait était pour moi, le signe que la vie continuait. Envers et contre tout.
C’est son histoire que je retranscris ici. Dona, son parcours précieux et la promesse, illustrée par son engagement, qu’il y aura un après. Pour elle, pour moi. Pour nous.
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Dona est l’aînée d’une famille de quatre enfants. Elle grandit à Joinville-le-Pont, face à la Marne. Le week-end, elle «nourrit les canards avec des bouts de baguette» soigneusement mis de côté pendant la semaine. Elle garde les souvenirs d’une enfance apaisée, des petits déjeuners «tartine beurre et confiture» et autres «œufs à la coque et mouillette» qu’elle aime servir à ses enfants. Trente ans plus tard, dans un autre pays.
Les parents de Dona ont, eux, grandi au Maroc. Son père à Essaouira et sa mère à Marrakech. Ils se rencontrent en France où ils sont tous les deux venus étudier. Son père est entrepreneur, sa mère, médecin. A l’âge de dix ans, Dona perd son grand-père paternel. C’est un choc pour son père. Et même s’ils ne fuient rien, ses parents décident de tenter leur chance en Israël. «C’était un projet qui les travaillait depuis un certain temps». On est en 1994. Le différentiel entre la vie en France, confortable et sereine, et celle en Israël, un petit pays qui n’a pas encore bénéficié de l’essor de son industrie high tech, est franc. A ce moment-là, c’est un choix que certains qualifient d’ambitieux, la majorité, de curieux.
Pour se dédier à l’apprentissage de la langue, le père de Dona décide de vendre son entreprise «Il s’est acharné pour apprendre parfaitement l’hébreu», identifiant que sa maîtrise serait critique dans le succès de son intégration. Il se lance dans un master de sciences politiques en VO. Et quand on lui dit que son statut de nouvel immigrant l’autorise à rendre ses papiers en hébreu, il rit. Sa mère, elle, passe ses équivalences pour pouvoir exercer la médecine en Israël. Elle acquiert la langue à son rythme, côtoie des francophones dans son travail et continue de lire en français, «son grand plaisir».
C’est l’âge où, en France, Dona aurait quitté ses amis pour entrer au collège alors elle se dit «pourquoi pas». Les premiers temps sont un peu rudes. Elle ne comprend rien de ce qui se dit autour d’elle. A la rentrée, les trois enfants démarrent leur scolarité à Herzliya, une ville de la banlieue de Tel Aviv. Ils se rendent à pied à l’école. Fini les embouteillages du matin pour entrer dans Paris. Et, grâce à une maîtresse particulièrement attentionnée et précautionneuse, elle réussit à suivre les cours. Quelque temps après leur arrivée, la famille accueille une nouvelle petite sœur, la première de la famille née en Israël.
En classe de première, Dona part en voyage en Pologne. C’est un voyage rituel pour les élèves israéliens qui partent voir de leurs propres yeux les camps de concentration. Lors de ce voyage, on rappelle aux lycéens qu’Israël a été créé au lendemain de l’Holocauste pendant lequel six millions de juifs ont été exterminés. Et ce, à la veille du service militaire auquel ils consacreront au moins deux ans de leur vie.
Dona en revient animée. Elle décide de servir dans une unité combattante. Et bien qu’on la contacte pour rejoindre le renseignement - qui lui aurait été « bien plus utile dans la vie civile» - elle s’entête. Elle devient instructrice. Concrètement, elle enseigne aux soldats à utiliser leurs armes. Cette expérience sera «très formatrice». «A l’armée, j’ai côtoyé tout Israël, tous les groupes sociaux, toutes les origines.» Et ce qui lui aurait paru inimaginable jusque-là - maîtriser une arme et en enseigner l’usage aux soldats - devint une réalité. A posteriori, elle considère que c’est à ce moment-là qu’elle est véritablement devenue israélienne.
A la fin de son service réglementaire, Dona devient officier. Dans ce nouveau rôle, elle prend la responsabilité d’un groupe de quarante instructrices. C’est elle qui les répartit par arme et par unité. Lors d’un entraînement, un accident peut être fatal. Il faut prendre mille précautions et ne jamais se déconcentrer. «C’est le moment de ma vie où j’ai eu, sur mes épaules, les responsabilités les plus lourdes.» Elle réalise que les jeunes adultes sont «très capables» dès lors qu’on leur donne les responsabilités adéquates. De cette période, elle ressort avec l’idée qu’elle peut «tout faire». Et ressent beaucoup de gratitude envers ses parents. Elle admire leur audace, d’avoir osé ce départ alors qu’ils en connaissaient parfaitement les conséquences. Quatre enfants qui serviraient dans l’armée.
«Quand je pense à mes enfants, théoriquement, bien sûr, je pense qu’ils doivent servir eux aussi. L’histoire nous a montré qu’il n’y avait aucune alternative. Mais, dans la pratique…» Dona ne termine pas sa phrase. Ses enfants sont encore petits. Et ces jours-ci ne sont pas propices aux projections.
Après l’armée, avec les salaires économisés pendant son service, Dona entreprend un voyage de neuf mois en Amérique du Sud. Elle part avec une amie rencontrée pendant le cours d’officier. «Avec ce qu’on avait vécu ensemble, dans des conditions parfois rudimentaires, je savais qu’elle serait partante pour tout.» Deux mois plus tard, au Chili, alors qu’elles s’apprêtent à louer une voiture, elles tombent sur un groupe d’israéliens auquel elles décident de se joindre. Ce sont des anciens de l’unité d’élite Maglan. Pendant son service, Dona avait l’habitude de raconter un drame qui avait marqué l’histoire de cette unité. Lors d’un entraînement, des terroristes avaient attaqué un groupe de soldats très fraîchement engagés dans l’armée, tuant leur officier. Le reste du groupe, sans expérience donc, s’était retrouvé seul face au feu nourri des deux terroristes. Dona utilisait ce récit pour illustrer l’importance de ne jamais réduire son niveau de vigilance pendant les entraînements. Au beau milieu du Chili, dans ce groupe, se trouve l’un des soldats qui a vécu ce drame. Ils resteront deux ans ensemble.
Ce voyage lui permettra aussi d’apprendre l’espagnol. La quatrième langue à son arc après le français, l’hébreu et l’anglais acquis pendant des «summer camps», les étés de son adolescence. A son retour en Israël, elle entame des études de communication et management à l’université de Haïfa. Dans ce cadre, elle rejoint un programme Stand with us qui a pour but de sensibiliser les étudiants à la diplomatie. Elle est sélectionnée pour partir aux Etats-Unis et partager son expérience, déjà riche, sur place. Son histoire intéresse. Elle se découvre un goût pour la parole publique et fait ses premiers pas dans le domaine des relations internationales.
En parallèle de ses études, elle travaille au Centre Peres pour la paix, une institution qui personnifie «la gauche israélienne par excellence», elle qui a grandi dans une famille politiquement de droite. Les piliers de l’institution sont les personnalités qui ont négocié les Accords d’Oslo comme Ron Pundak et Uri Savir. Les activités du Centre Peres sont centrées sur la jeunesse. Par exemple, on invite des enfants israéliens et des enfants palestiniens à jouer au foot. «Derrière le ballon, ils oublient vite qu’ils ont grandi de part de d’autre du narratif.»
Ensuite, elle rejoint l’ambassade de France pour quelques mois et remplace l’attachée de presse pendant son congé maternité. Pendant cette période chargée, un accord pour la libération de Gilad Shalit, qui possède la nationalité française, est négocié avec le Hamas après cinq ans de captivité à Gaza. Et Lee Zeituni, une jeune israélienne, se fait écraser par deux français qui fuient immédiatement le pays. En l’absence d’accord d’extradition avec la France, les diplomates travaillent à s’assurer que les coupables seront jugés en France pour le meurtre de la jeune femme.
Dona rejoint ensuite Elnet, une institution qui accélère les rapprochements entre Israël et l’Europe. Elle passe quelques mois à Madrid pour ouvrir le bureau espagnol. A cette occasion et pour la première fois, elle fait inviter des parlementaires israéliens à la conférence annuelle du parti socialiste espagnol. L’échange est fructueux et elle découvre qu’il y a «une admiration du socialisme israélien qui a créé les kibboutz». Juste avant de fêter ses vingt-six ans, elle rencontre Raanan qui deviendra son mari.
J’ai hâte de lire la suite !!
Une histoire fascinante… j’attends avec impatience la suite! Merci de nous faire découvrir des personnalités courageuses et entreprenantes. Des exemples pour les générations à venir.