#18 - Dona R, dans la (re)construction - 2ème partie
[Deuxième partie] J’ai rencontré Dona il y a un an et demi, en cours d’arabe. Mais quand elle s'est présentée, j'avais raté qu’elle était, comme moi, une fille de 1984
Si vous ne l’avez pas encore lue, la première partie de l'histoire de Dona est à lire ici.
En 2013, alors qu’elle a terminé son master, le nouveau parti du centre Yesh Atid - Il y a un futur - remporte dix-neuf mandats. Une première pour le centre Israélien. A cette occasion, Dona, comme des dizaines de milliers d’israéliens, écoute l’épatant discours du Dr Ruth Calderon qui entre à la Knesset - le parlement israélien. Elle est bluffée par le personnage et se met en tête de travailler avec elle. Armée d’une persévérance ancrée dans ses succès passés, elle réussit à se faire embaucher comme son porte-parole.
Le Dr Ruth Calderon est très aimée au parlement. C’est une laïque, diplômée en textes religieux ce qui fait d’elle une interlocutrice aussi surprenante que privilégiée pour les partis ultra-religieux. Mais pas que. «Elle était copine avec tout le monde», se souvient Dona. Ce qui lui offre, par capillarité, l'opportunité de côtoyer tous les bords politiques, des partis arabes aux juifs ultra religieux.
Pendant sa deuxième année à la Knesset, Dona tombe enceinte pour la première fois. Au quatrième mois, on soupçonne une malformation très grave sur le fœtus «même si on n’est jamais certain du degré de gravité.» Elle prend, avec Raanan, la décision d’arrêter la grossesse. C’est un traumatisme à une époque où les femmes partagent encore très peu ce type d’expérience. Elle réalise que les allers-retours Tel Aviv-Jérusalem pour se rendre à la Knesset la fatiguent. Elle décide de changer de mode de vie.
Grâce à une amie - qui deviendra sa collègue - Dona découvre qu’il y a des fonctions d’affaires publiques dans le secteur privé. Elle ne connaît pas du tout ce monde-là mais décide d’y tenter sa chance. Un poste s’ouvre chez Google. Elle postule «envers et contre tout». Après six entretiens et la rédaction d’un article sur «la démocratisation de l’information», on lui annonce qu’elle est prise. Sa deuxième vie professionnelle commence.
Evènement Safer Internet dans une école au Sénégal et en parallèle en ligne dans des écoles au Kenya, Nigeria et Afrique du Sud
Elle travaille sur une région géographique à laquelle elle «est très attachée». Il y a l'Afrique «d'où sont originaires [ses] parents», l’Amérique latine, elle qui adore l’espagnol, et le Moyen Orient dans lequel elle a grandi. Pendant dix ans, elle dirige les affaires publiques de la région et travaille sur des sujets «aussi divers que passionnants». Elle apprend la stratégie et le monde de l’entreprise.
En parallèle, elle crée le réseau féminin local de l’entreprise pour que les femmes puissent se soutenir et partager leurs expériences. Elle crée des sous-groupes de partage sur les thématiques de la fertilité, de l’arrêt de grossesse ou de la PMA solo - légale en Israël depuis une trentaine d’années - qui seront plébiscités par les employées.
Visite du président Kenyatta - pendant son mandat - en Israël
Le 7 octobre 2023, tout bascule.
Pour la première fois, elle a «peur dans son pays». En trente ans, ça ne lui était jamais arrivé. «C’est une expérience traumatisante qui a meurtri notre génération». Pour la première fois, ces mots qu’on lui a tant répétés prennent une épaisseur étouffante. «C’est notre pays, il est petit et nous n’en avons qu’un.»
Le 8 octobre, elle comprend qu’elle ne sera pas mobilisée parce qu’elle a «presque 40 ans et 3 enfants». Alors elle décide d’aider comme elle peut. Elle commence par traduire des témoignages en espagnol et en français. «Si, nous en Israël ne connaissions pas encore l’ampleur de la tragédie, alors qu’en était-il du reste du monde ?». En lisant ses traductions, un ami qui habite Washington la met en contact avec le professeur Irwin Cotler, un ancien ministre de la justice Canadien. Ce dernier a créé le centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne qui a, entre autres, fait libérer Nelson Mandela et Anatole Sharansky.
Dona a l’intuition «qu’Israël aura besoin d’aide pour faire pression sur les pays qui joueront les intermédiaires dans d’éventuelles négociations». Comme le Qatar. Et cette pression-là devra venir de pays tiers qui ont de l’influence sur les intermédiaires. La pression que le centre Raoul Wallenberg contribue à exercer est d’abord juridique et sur le plus long terme financière - en évitant que les financements continuent d’affluer aux terroristes.
C’est aussi une affaire personnelle pour Dona puisque le 7 octobre, le père de l’une de ses amies proches a été pris en otage de sa maison dans le kibboutz Nir Oz - après huit mois, on a appris, la semaine dernière, son décès en captivité. Son amie est la première proche d'otages à entreprendre un voyage de sensibilisation à l’étranger. Dans les semaines suivant le 7 octobre, la situation était très instable en Israël. Il y a beaucoup de sirènes, il faut courir aux abris plusieurs fois par jour. Et on craint l’ouverture d’un front dans le nord du pays. Mais cette dernière laisse son mari et ses enfants pour se rendre à Washington, rencontrer des députés et des sénateurs américains et leur raconter l’histoire de son père. Le voyage est organisé par le centre Raoul Wallenberg pour accélérer les discussions en vue d'un accord de libération. Dona décide de l’accompagner.
Ensuite, puisque le centre n’a pas de représentation en Israël, Dona devient, de facto, leur point de contact. Les familles d’otages entament un processus de plainte pour crimes contre l’humanité auprès de la cour pénale de la Haye. Pour constituer la plainte, Dona travaille avec les proches de plus de 180 otages pour transcrire les faits du 7 octobre. Ce sont des heures passées à recueillir en hébreu et traduire en anglais les témoignages d’histoires à crever le cœur.
En février 2024, Dona part à la Haye avec l’équipe qui soumet à la plainte à la Cour pénale internationale. Deux otages libérées quelques semaines plus tôt, se joignent pour témoigner de leur enlèvement, des conditions de détention et des sévices subies.
Conférence Women Empowerment à Dubai - Dona le répète «Le futur du Moyen Orient est dans les mains de femmes»
Au fur et à mesure que le temps passe, cela devient une évidence. C’est à son pays que Dona veut donner son temps. Elle est consciente qu’elle a «une valeur ajoutée qui peut faire la différence et le sentiment que chaque minute passée à autre chose est un peu perdue». Elle n’arrive plus à «mener ces deux vies». Après dix ans, elle démissionne, renonce aux excellentes conditions que son employeur lui offrait, pour s’investir dans la reconstruction de son pays.
Alors, l’avenir ? «La politique en Israël, c’est très difficile, mal payé et pas du tout glamour, c’est vraiment un service national». Mais Dona s’en fiche. Une force intérieure l’anime. Si l’opportunité se présente, elle est «prête à s’y consacrer». Aujourd’hui le «narratif israélien est ignoré». «Nous menons une bataille qui est celle de toutes les démocraties et nous sommes isolés». Alors Dona ne sait pas exactement ce dont son futur professionnel sera fait. Mais une chose est certaine. Il sera intimement lié à la reconstruction du pays.