#20 - Claire B, la force renouvelée de recommencer
A 40 ans, Claire a eu plusieurs pays et plusieurs vies. Cette année, il lui faudra encore se réinventer. C'est peut-être toujours le propre de nos milieux de vie.
Son enfance, Claire l’a vécue un peu partout et très proche de ses frères qui étaient «ses seuls amis» à chaque nouveau «déracinement». Son père a mené une carrière d’expatrié alors elle naît en Hollande où elle grandit jusqu’à ses trois ans. Ensuite, elle passe quatre ans au Congo, fait un passage express en France suivi de trois années en Tunisie et quatre au Cameroun. Elle débarque en France en classe de première dans la région parisienne . «Partout où» elle «a grandi», Claire n’était pas «chez elle». Et quand enfin, elle «rentre» dans le pays qu’on lui dit être sien, elle ne se «reconnaît dans rien». Une arrivée difficile dans cet endroit dont elle ne connaît en fait que les «étés dans le bassin d’Arcachon». Une transition compliquée pour Claire qui avait jusque-là été «l’étrangère». Et qui se retrouve bien embêtée de ne pas se sentir chez soi quand elle aurait enfin dû se sentir comme les autres. Elle se tresse les cheveux. Elle a un accent camerounais. Pendant un temps, elle continue d’être d’où elle vient. Et pas vraiment d’où elle est.
Après son bac, pas très sûre et sur le conseil de ses parents, Claire décide de faire une école de commerce. International parce qu’elle espère que cela lui permettra de continuer à voyager. Et elle fait tout pour. Elle passe deux mois en Ecosse. Puis fait son «Erasmus» en Hollande où elle vit six mois. Une fois son diplôme en poche, elle ne sait «pas trop quoi faire». Elle «perd» un an. Passe le permis. Et enchaîne finalement sur un «master de ressources humaines» convaincue que ça lui plaira parce que comme son nom l’indique, ce domaine touche à l’humain est au contact.. Elle fait «son alternance dans le milieu du conseil IT». Au début, elle y prend goût. Elle part à l’étranger, «en Tunisie et au Maroc» pour faire «des sessions de recrutement groupées». Mais passée la vague de croissance, il lui faut maintenant licencier et ça ne lui «plaît pas du tout».
Une fois son diplôme en poche, elle devient «commerciale dans le conseil», c'est-à-dire qu’elle «place des consultants dans des entreprises» qui ont besoin de ressources pour des missions temporaires. Ce sera son métier pendant dix ans. En tant que commerciale, une grosse partie de sa rémunération est variable. Elle a le sentiment permanent de «courir derrière les objectifs».
En 2012, Claire rencontre son conjoint et devient «belle-mère» de deux petites jumelles de deux ans. Elle entame donc sa route vers la maternité dans ce nouveau rôle avec des filles qui ne sont pas les siennes. Trois ans plus tard, elle accouche de son premier enfant. Une fille aussi. Peu après la naissance, on lui diagnostique «une dysplasie de la hanche» qui la contraint à porter un appareil entre ses hanches pendant trois mois. Même s’il existe un traitement et que cette condition est réversible, Claire «assez perturbée». Alors, elle se penche sur le portage, connu pour favoriser la guérison. Elle porte beaucoup la petite et réalise que c’est un domaine très vaste. Et souvent salvateur.
Pendant sa deuxième grossesse, en 2017, elle décide donc de se former «pour devenir monitrice de portage». Cette activité lui permet de «faire des rencontres et d’aider des parents». C’est le moyen de «faire un truc enfin utile» alors qu’elle a le sentiment que son travail lui apporte très peu humainement. Le soir et le week-end, sur son (peu de) temps libre, elle débarque dans des familles nouvelles, en période de post-partum où elle sent que les «problématiques dépassent souvent le portage» et elle les forme.
Elle sait que sa deuxième fille est son dernier bébé alors elle vit «à fond» les années de petite enfance, «maternage proximal, cododo, allaitement jusqu’à deux ans». A l’époque, la famille habite dans un «petit appart» à Courbevoie et elle sait qu’il faudra le quitter rapidement. Puis le covid arrive. Ils quittent Paris pour se confiner à Arcachon dans une «maison de famille». Ils sont «proches de la nature». Il y a de l’espace. Malgré l’incertitude qui plane, Claire voit ses filles s’épanouir. «Elles ne se disputent plus, elles s’entendent bien». Alors, quand tout se termine, ils cherchent rapidement un nouveau logement pour avoir plus d’espace et déménagent dans une «maison avec un jardin dans les Yvelines».
Claire réalise que chaque année qui passe, elle «subit un peu plus» son travail. Quand on lui souhaite «bonne année» au traditionnel pot d’entreprise, elle sourit et flippe. Elle vit ce parcours professionnel comme une série d'injustices. Elle ne compte plus les exemples de collègues masculins qui évoluent plus vite qu’elle avec des résultats objectivement moins bons. A Claire, on continue de dire qu’elle pourrait «mieux faire» alors même qu’elle dépasse les objectifs qu’on lui a donnés. A chaque congé maternité, elle perd tous ses clients et doit »recommencer à zéro». On lui dit ouvertement «non mais toi avec les enfants, tu comprends». Elle se sent «rabaissée» en permanence et a le sentiment qu’avoir eu des enfants «freine sa carrière». Elle est beaucoup «chassée» par d’autres entreprises mais c’est pour «faire la même chose». Des boîtes, Claire en a déjà fait trois et elle sait bien que ce sera pareil ailleurs.
Il y a un deux ans et demi, on l’appelle pour un poste dans une «entreprise libérée» (ndlr, le concept d’entreprise libérée est très bien expliquée par Emilie dans son portrait à lire ici). C’est pour un poste de commercial cette fois-ci. Le processus est assez long. Mais une fois intégrée, elle se sent soulagée. Tout y est différent.
Dans cette entreprise, les commerciaux ont des salaires «fixes» pour éviter de «mettre la pression» à l’équipe. Les jours de congés sont illimités. La semaine de travail est de quatre jours et demi et sera bientôt réduite à quatre. Claire peut «faire les sorties scolaires». Le dirigeant part du principe que ses employés sont «des adultes responsables» et que s’ils ont réussi à «acheter des maisons» ou à «élever des enfants», ils peuvent gérer leur vie professionnelle de la même façon. «Tout est transparent, tout est hyper sain». Claire s’y sent épanouie.
Claire a eu le sentiment d’avoir atteint «un équilibre et posé un socle». Après plusieurs années où elle s’est «mise entre parenthèses» avec l’arrivée des filles dans sa vie et une vie professionnelle éprouvante, Claire a eu envie de réapprendre. Elle a commencé avec «le ukulélé et la guitare». Elle commence aussi à lire des livres en anglais. Quarante ans, c’est «pas mal de cheveux blancs» et «symboliquement la moitié de la vie», mais elle espérait que ce soit aussi le temps de la stabilité et de «profiter de ce qui est enfin en place». Sauf que nos équilibres restent incertains et il y a quelques mois, Claire s’est séparée de son conjoint. Depuis, elle élève ses filles seules.
Avec les années, Claire est devenue «féministe». Depuis toute petite, elle a toujours eu une âme de «justicière». Aujourd’hui, elle est particulièrement sensible au « sexisme» et au «racisme». Elle nourrit l’espoir que ses filles métisses aient les mêmes chances que les autres enfants. Au quotidien, elle abat les pensées limitantes et s’évertue à leur apprendre que rien ne doit les arrêter. Ce sont des remarques de racisme ordinaire égrenées au fil des années qui lui rappellent que pour elles, elle devra continuer à dégommer les pensées limitantes et travailler à leur ouvrir «le plus grand nombre de portes». Leur inculquer que «rien n’est impossible».
Très inspirant portrait!! Merci!