#23 - Amélia M., l’entreprenariat à ambition égalitaire
La quarantaine d’Amélia, c’est une détermination à continuer d’entreprendre et une prise de conscience que l’âge changera certainement un peu l’image qu’elle renvoie. Alors elle s'y prépare doucement.
Au collège, Amélia est «très bonne élève». Mais le quartier est «difficile» et l’environnement très peu «sécurisant». Et, en classe de cinquième, l’établissement subit un traumatisme lorsqu’un élève se fait «poignarder à mort» alors qu’il défendait son petit frère. Les parents d’Amélia trouvent rapidement une solution pour la changer d’établissement. Elle intègre le collège d’une ville proche «plus favorisée économiquement». Socialement, la transition se fait sans heurts. Mais «c’est plus exigeant». Rapidement, elle se retrouve parmi les élèves qui s’en sortent «mais sans plus» et elle comprend déjà que l’éducation mal ajustée peut décourager.
Elle déserte certains cours mais obtient tout de même le bac avec mention et se dirige vers un DEUG de lettres parce qu’elle aime «lire et écrire». Sans projet professionnel précis. En explorant les possibilités pour la suite de son parcours, elle prend conscience de l’existence des Écoles de Commerce. De leur classement. Et surtout, de la possibilité de les rejoindre via un concours passerelle. Elle le passe et intègre l'école de commerce de Grenoble où elle est un «OVNI». «Personne ne venait d’un DEUG de Lettres !».
Amélia, qui a un bac littéraire, doit «beaucoup étudier» pour les cours de finance et de statistiques. Mais elle «y retrouve le goût de l’effort scolaire». C’est la première fois qu’elle est confrontée à des «camarades qui ont des codes complètement différents» des siens. Elle s’y plaît beaucoup. Et y trouve un sentiment «d’accomplissement». Ensuite, elle tente d'entrer à Sciences Po pour faire un Master de Ressources Humaines. Elle est persuadée d’avoir réussi. Mais elle n’est pas prise. C’est l’épreuve d’anglais qui l’a plombée. Pas de voyage à l’étranger. Pas d’exposition à la langue. «C’était directement lié à mon origine sociale. J’étais moins bonne que les autres» Sur le coup, c’est une douche froide. «Un échec très douloureux.» A posteriori, Amélia sait que c’est un mal pour un bien parce que devenir RH l’aurait détournée de sa destinée professionnelle.
Très vite, elle découvre son appétence pour l’entreprenariat. Elle veut «monter un réseau de franchisés de pizzas bios». Elle explore le projet, fait une étude de marché sérieuse, contacte des restaurateurs. Mais elle finit par se décourager, poussée par ses parents à trouver d’abord un job de salariée après ces études très coûteuses.
Amélia commence à travailler au sein d’un projet financé par Stéphane Courbit, le fondateur de Betclic. Il s’agit d’une start-up qu’il crée dans les jeux vidéo. Elle a le sentiment de vivre «une aventure entrepreneuriale en tant que salariée». Au bout de deux ans, l’entreprise ferme «du jour au lendemain». Amélia a beaucoup appris.
Ensuite, poursuivie par son envie d'entreprendre, Amélia rejoint NUMA, le premier accélérateur de start-ups en France - où elle travaille en même temps qu’Elise. Elle y vit une expérience «très marquante et enthousiasmante» dans ce qui est à l’époque, le «cœur du réacteur entrepreneurial parisien». Amélia est fascinée par cet univers. Et puis, en devenant parent, elle prend conscience de l’importance des premières années de vie et l’importance du «levier éducation».
Quand les conditions sont enfin réunies (rupture conventionnelle, conjoint en CDI, idée mûrie), Amélia se lance et fonde COLORI, une start up qui démocratise l'accès à l'éducation numérique, en permettant aux enfants de s'approprier le monde technologique qui les entoure… Sans écran.
Amélia est formée pour être assistante Montessori et elle réalise que si Maria Montessori était encore vivante, elle aurait «étendu ses recherches et méthodes au numérique». C’est l’aspiration de COLORI. Permettre à tous les enfants - «pas seulement aux enfants de startupers qui peuvent payer des cours de coding hors de prix» - d’accéder à l’éducation numérique.
COLORI travaille en collaboration avec tout type de villes, «cités éducatives, REP, zones rurales, zones privilégiées» pour permettre à l’enfant de se «saisir du sujet technologique» grâce à des activités manuelles qui sont «faciles à déployer». Pour les créer, Amélia s’est inspirée de méthodes existantes et a même rencontré les gens qui les avaient créées comme Linda Liukas, une experte finlandaise dont les livres ont été traduits et publiés dans le monde entier. «Entreprendre, c’est plus d'échecs que de réussites. Il faut une persévérance un peu folle.» Une qualité rare dont Amélia a toujours été armée.
Une fois son entreprise créée, il y a un autre désir auquel Amélia a su faire de la place. Celui d’écrire. En 2022, elle publie le roman Ainsi naissent les mamans. Une histoire sensible sur la construction de l’amour maternel. Depuis, Amélia a écrit un autre roman qui cherche son éditeur.
La quarantaine ? «Je ne me suis jamais sentie aussi jeune». Et en même temps, cette légèreté interroge sur la perspective du vieillissement, de l’évolution du regard des autres et de sa place dans la société quand on aura perdu «l’attrait lié à la jeunesse». Mais aussi l’importance de prendre soin de mon corps, «non pas pour l’esthétique, mais pour préserver sa santé.» Pas de révolution donc. Mais une prise de conscience qu’il faudra bientôt jongler avec des atouts différents.
Super.